La crise alimentaire relance les attaques contre la politique agricole commune
Le Monde
21 Maggio 2008
Au moment où la politique agricole commune (PAC) doit faire l'objet de nouveaux ajustements, la crise alimentaire mondiale relance la bataille sur son rôle, faisant resurgir le vieux clivage entre Britanniques et Français.
La Commission devait présenter à Bruxelles, mardi 20 mai, ses propositions définitives pour le "bilan de santé" de la PAC qu'elle doit boucler au second semestre, sous présidence française, en attendant les négociations sur une nouvelle réforme prévue à l'horizon 2013.
Prenant acte des tensions sur les marchés agricoles, Bruxelles suggère entre autres de soutenir la production en mettant un terme aux jachères et en supprimant par étape les quotas laitiers d'ici à 2015.
Mariann Fischer Boel, la commissaire à l'agriculture, propose aussi de réduire l'enveloppe des aides directes versées aux exploitants, de les découpler toujours plus du niveau de la production, et de les plafonner. Elle souhaite orienter les fonds ainsi dégagés vers le développement des activités rurales non agricoles, comme le tourisme ou l'entretien de l'environnement.
Ces ajustements vont alimenter le débat entre les capitales chargées de les adopter, dans un contexte marqué par l'envolée des prix alimentaires. Alistair Darling, le ministre des finances britannique, a lancé l'offensive la semaine dernière contre une PAC qu'il rend en partie responsable de cette évolution, au sein de l'Union mais aussi dans les pays pauvres.
Dans un courrier à ses homologues, il exige la fin des mécanismes d'aide aux exploitants conçus, selon lui, "pour maintenir les prix agricoles européens au-dessus des cours mondiaux". Le ministre demande de surcroît d'ouvrir le marché européen aux producteurs des pays en développement : "Il est inacceptable que l'Union maintienne des droits de douane très élevés sur de nombreuses matières premières agricoles."
"ALIMENTATION DE QUALITÉ"
Soutenus par les pays nordiques, les Britanniques relaient les positions de certaines organisations non gouvernementales. Oxfam appelle ainsi les grandes puissances agricoles, dont l'Europe et les Etats-Unis, à "s'attaquer aux causes profondes de la crise des prix agricoles", afin de ne pas mettre en danger, à coup d'exportations plus ou moins subventionnées, la production dans les pays les plus pauvres de la planète.
En face, le gouvernement français n'a pas attendu cette attaque en règle pour défendre l'idée d'une PAC forte, quitte à la faire évoluer pour endiguer la crise alimentaire. D'après Michel Barnier, le ministre français soutenu lundi 19 mai à Bruxelles par un grand nombre de ses collègues, la crise alimentaire "donne une raison de consolider la politique agricole commune".
Son homologue allemand affirme que la PAC "n'a rien à voir" avec l'envolée des cours. Pour les deux hommes, les subventions sont au contraire une réponse "à l'exigence d'une alimentation de qualité, diversifiée, et traçable". Et peuvent permettre aux producteurs de faire face à la demande mondiale.
Les Français n'excluent pas de réduire à terme les aides attribuées aux céréaliers pour les orienter vers d'autres productions, comme les porcs ou les bovins, qui souffrent de la hausse du prix des céréales. "Les céréaliers peuvent très bien vivre du marché, ce qui permettrait de focaliser la politique agricole sur les autres fonctions de l'agriculture, comme l'environnement ou l'entretien de l'espace rural", estime, pour sa part, Philippe Chalmin, professeur d'économie à Paris-Dauphine.
Les agriculteurs européens, représentés au sein du Copa-Cogeca, dont l'actuel président n'est autre que Jean-Michel Lemétayer, le patron de la FNSEA, se rangent sans surprise du côté français. "Il faut une politique agricole, et le débat actuel sur l'alimentation mondiale montre que le pire serait de ne pas en avoir, car elle permet de se protéger et de développer son agriculture", estime M. Lemétayer. Et de regretter, dans le contexte de hausse des coûts des denrées, que l'Union européenne ait déjà autant abandonné ses outils de régulation des marchés. "Plus personne ne veut financer de stocks, alors il ne faut pas s'étonner que les cours s'envolent", explique-t-il.
En prenant les devants, Londres et Paris cherchent, au-delà du bilan de santé, à poser les jalons d'une future réforme de grande ampleur. "Nous sommes dans une période de transition, car le budget européen ne devrait être modifié qu'en 2013. Les Anglais se positionnent dès maintenant, ce qu'a bien compris Michel Barnier, car si en 2012 les prix restent élevés, alors la PAC pourrait bel et bien disparaître", explique Jean-Christophe Bureau, économiste à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et AgroParisTech.
Source > Le monde