Eglise catholique de France : une désaffection continue
Le Monde
13 Settembre 2008
Le pape Benoît XVI débute vendredi 12 septembre son premier voyage en France, au coeur d'une Eglise qui connaît une perte d'influence continue. Les courbes sont têtues. Depuis des décennies, elles baissent, illustrant inexorablement la désaffection qui touche l'Eglise catholique dans un pays où elle fut longtemps hégémonique. La proportion de croyants qui fréquentent les églises au moins un dimanche par mois plafonne désormais à moins de 5 % des quelque 60 % à 65 % de Français se déclarant encore de culture catholique. D'où les images récurrentes de lieux de culte désertés ou fermés, notamment dans les petites villes et les zones rurales. Symbole de la crise que traverse la transmission de la foi et des notions chrétiennes, la proportion d'enfants catéchisés s'est effondrée : aujourd'hui, seuls quelque 20 % des jeunes de 8 à 11 ans fréquenteraient le "caté".
"L'euro-sécularisation touche la plupart de nos voisins européens, souligne l'historien du catholicisme, Denis Pelletier, chercheur à l'Ecole pratique des hautes études. Mais en France elle intervient dans un contexte plus fragile lié à une rude tradition de laïcité et de critique du catholicisme."
LA CRISE DES VOCATIONS
L'indifférence des générations nouvelles à l'égard du catholicisme se manifeste de manière radicale dans la crise des vocations religieuses. Seule une centaine de prêtres sont ordonnés chaque année, insuffisants à renouveler le vivier de clercs vieillissants. Dans certains diocèses, la moyenne d'âge des prêtres excède 70 ans ! "L'Eglise catholique a su gérer l'aménagement du territoire, le redécoupage des paroisses, estime Denis Pelletier. Mais à terme elle devra faire fonctionner le système avec 6 000 prêtres diocésains contre 15 000 aujourd'hui, sachant qu'il n'est pas question d'ordonner des femmes ou des hommes mariés."
Face à cette situation, la hiérarchie catholique aime à souligner que le ratio nombre de prêtres/nombre de croyants demeure bien plus favorable que dans les pays d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Asie, où le catholicisme connaît une réelle vitalité. Mais c'est l'Eglise de France, longtemps missionnaire, qui recourt désormais à plus de mille prêtres venus d'Asie ou d'Afrique.
Dans ce contexte, la présence des laïcs devient une question de survie pour l'Eglise. La seule courbe ascendante de ces dernières années concerne d'ailleurs le nombre de diacres, ces laïcs ordonnés au service des paroisses. Plus largement, des fidèles engagés dans la vie paroissiale épaulent les prêtres désormais responsables de territoires très étendus.
DES SIGNES DE "BOURGEONNEMENT"
Face à cette situation, la hiérarchie catholique relève des signes de "bourgeonnement". Elle souligne l'émergence de nouvelles pratiques, qui amènent de plus en plus de fidèles sur les chemins de pèlerinage, à la visite de sanctuaires ou à la participation à de grands rassemblements. Les évêques mettent aussi en avant les baptêmes d'adultes (un peu moins de 3 000 chaque année). Pour M. Pelletier, l'écho de la tradition catholique est aussi présent, hors de l'institution religieuse, sur de nombreux terrains : questions sociales, immigration, bioéthique... L'école catholique continue de faire recette avec deux millions d'élèves et des listes d'attente de plus de 30 000 enfants à chaque rentrée scolaire. Mais seuls 12 % des parents font ce choix pour des raisons confessionnelles.
Dans ce contexte, la jeunesse catholique se distingue des générations précédentes. Les jeunes s'engagent volontiers dans les communautés nouvelles, dont la dimension charismatique et décomplexée a renouvelé, depuis les années 1970 et 1980, la manière de vivre sa foi. Les jeunes catholiques, minoritaires dans leur classe d'âge, n'hésitent pas à afficher des codes identitaires marqués par un attachement à la tradition. Une tendance que l'on retrouve chez les jeunes prêtres, voire les évêques.
Cette évolution voisine avec la survivance des traditionalistes et des intégristes héritiers du schismatique Mgr Lefebvre. Phénomène essentiellement français, ces pratiquants - 30 000 à 45 000, selon les sources - sont partisans d'une Eglise fidèle à un modèle datant d'avant le concile de Vatican II qui, dans les années 1960, s'est efforcé d'ouvrir l'Eglise sur le monde. Ce public, souvent jeune et familial, peine encore à s'inscrire dans la vie des paroisses. En libéralisant la célébration de la messe en latin, en juillet 2007, le pape Benoît XVI a tendu la main à ces fidèles, au nom de "l'unité de l'Eglise". Signe de l'attention qu'il leur porte, le pape devrait donner des signes de son attachement à l'ancienne liturgie lors de la messe qu'il célébrera aux Invalides, samedi 13 septembre.
Stéphanie Le Bars
Source > Le Monde